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« Le brouillard a certainement sa poésie, sa grâce intime, son charme rêveur. Il fait pour le jour ce que la lampe fait pour la nuit : il pousse l'esprit au recueillement; il replie l'âme sur elle-même. Le soleil nous répand dans la nature, nous disperse et nous dissipe : la brume nous rassemble et nous concentre. » Amiel, Journal
Ce projet traite de la question de l’intime et du recours au dessin. C’est une forme d’auto-correspondance à la manière d’un journal intime.
Le projet s’est déroulé essentiellement sur l’année 2021. Il prend corps dans une période propice à l’introspection compte tenu de la limitation des interactions sociales qui a été imposée à la population et du brouillard dans lequel nous avons été momentanément plongés.
Ainsi, l’objectif était de réaliser une série de notes, sur des évènements, des émotions, des sentiments et de réflexions intimes, tout en s’imposant une certaine régularité et un cadre temporel de début et de fin du projet (bien que d’autres cartes l’ont précédé et continuent encore de voir le jour.).
Le choix s’est porté sur un support identique pour donner un caractère homogène à la forme du travail afin que de cet ensemble, apparemment décousu, puissent s’extirper un ou plusieurs fils conducteurs.
Cette élection du format carte postale vient ainsi souligner la question de ce morceau de papier qui a pour vocation de transmettre un message, morceau de papier dont une face est illustrée et que est sélectionné en fonction du message que l’émetteur veut transmettre. Ici le dessin est comme une invitation à une relation épistolaire où le choix de l’image viendrait souligner le texte qui aurait pu être écrit au dos.
Ce projet de correspondance de soi à soi, la mise en image d’expériences intimes, la redondance du format et de l’activité même de réaliser une multitude de dessins pendant une année est également une tentative d’apprivoiser ce qui se rattache à un niveau plus profond de la vie psychique, à ce qui est de l’ordre de l’impénétrable.
En quelque sorte, ce projet né d’un besoin de répondre à une exigence de vérité, la recherche de quelque chose qui s’inscrit tel quel sans les déformations induites par le regard de l’autre, quelque chose qui ne se modifiera plus. Bref, un pacte d’authenticité.
Laisser parler l’instinct pour créer une somme d’intuitions sur ses propres ressentis, éprouvés, posées les unes à la suite des autres dans une logique chronologique. Une simple succession de faits, de pensées, de sentiments qui contribuent à nourrir en arrière-plan une véritable quête de sens.
Le journal intime n’est pas un objet anodin, il entre en résonance avec une interrogation sur l’avenir, sur la recherche d’ouverture vers de nouvelles perceptives, sur la transformation au cours du temps. Chaque nouvelle carte est la possibilité de se raconter au fur et à mesure sans connaitre la suite de l’histoire et d’appréhender le passage de temps à travers ses états intimes.
Le journal offre la possibilité de compréhension de l’ensemble constitué dans l’après coup lorsque que l’on s’affaire à retrouver le sens de ces éléments graphiques. Il offre un regard sur l’identité, celle de celui qui a élaboré son journal.
Le journal intime est un récit de vie haché, une sélection de moments, d’impressions, de variations et le jeu entre les possibilités d’ouverture et la progression qui s’y est effectuée. Il constitue un recueil d’image miroir de l’existence de celui qui les produit, il invite à voir les tensions et les transformations au fil des pages. Toucher du bout des doigts le passage du temps, y faire transparaitre le rythme entre une très grande proximité du quotidien et le recule pris vis à vis de la vie dans son ensemble.
Le journal intime se constitue d’un double élan à la fois de morcellement et d’unification, il est le dépositaire d’une multiplicité d’états du moi, une entrée dans la cyclothymie et les variations d’humeurs d’une même personne. Une sorte de climatologie du moi. Un consentement à n’être jamais identique tout en formant malgré tout un seul être distinct des autres.
La publication d’un journal intime transforme sa finalité première qui était d’être un objet personnel et privé du regard extérieur de l’autre. Dans l’acte de publicisation, ce qui est caché, secret se transforme en ce qui est ici montré, dévoilé, exhibé dans une tentative de saisissement de l’essence des choses de la vie et de la part de nous qui nous échappe. Le désir de se montrer contribue au sentiment d’exister, ainsi ce miroir des états d’âme vient comme un au-delà de la fragmentation et se pose comme une présence à soi renforcée, une conscience de soi plus profonde, un dialogue intense qui s’alimente chaque jour, effleurant les points aveugles de l’existence. Un concentré de soi pour parvenir dans l’après coup à une certaine transcendance.
Ainsi ce projet mêle la création d’un ensemble artistique tout en collant aux mouvements intimes inhérent à la vie et en s’inscrivant dans la perceptive de sa construction jour après jour.
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